Retraite
Remonte, lent rameur, le cours de tes années,
Et, les yeux clos, suspends ta rame par endroits ;
La brise qui s’élève aux jardins d’autrefois
Courbe suavement les âmes inclinées.
Cherche en ton cœur, loin des grand’routes calcinées,
L’enclos plein d’herbe épaisse et verte où sont les croix.
Écoutes-y l’air triste où reviennent les voix,
Et baise au cœur tes petites mortes fanées.
Songe à tels yeux poignants dans la fuite du jour.
Les heures, que toucha l’ongle d’or de l’amour,
À jamais sous l’archet chantent mélodieuses.
Lapidaire secret des soirs quotidiens,
Taille tes souvenirs en pierres précieuses,
Et fais-en pour tes doigts des bijoux anciens.
Albert Samain
Source : Albert Samain « Le Chariot d’or » , édité par Mercure de France, 1924
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