Le Port
Je viens de bien plus loin que tu ne saurais croire ;
J’ai connu la faim morne et j’ai connu la gloire ;
J’ai vu des fleuves lents et des flots irrités
Glacer les jours d’hiver ou bercer les étés ;
Les palais m’ont déçu, la beauté semble vaine ;
Et dans le miroir bleu d’innombrables fontaines
J’ai penché vainement l’angoisse de mon cœur.
Avec l’audace au front, ou guerrier ou joueur,
J’aurai farouchement promené sous ma cape,
Magnifique, et secret, pour que rien n’en échappe,
Le désespoir profond d’un espoir éternel.
Que de pays j’ai vus, que de mers, que de ciels,
De sourires, de pleurs, clairs ou sombres visages !
Pitiés, amours, chagrins, que de tristes voyages !
Maintenant, tout s’efface, et je ne sais plus rien,
– Sinon que ton regard est entré dans le mien,
Et que depuis ce jour, cette minute brève,
J’ai trouvé sur ton cœur la forme de mon rêve.
Marguerite de Broglie
Source : Princesse Marguerite de Broglie « La Route éblouie », Raoul Solar, éditeur, Monte-Carlo, 1947