Barbara Botton
– Vieux chemin, quel est ton âge
T’ont creusé combien de pas ?
– Demandez au vieux village
Dont les toits fument là-bas.
– Sur ton squelette de pierre
Combien d’hommes ont marché ?
– Demandez au cimetière
Qui dort au pied du clocher.
– Es-tu né, parmi la lande,
Au pas d’un serf féodal ?
– Demandez à la légende
Le secret de l’idéal.
– Patriarche de la terre,
As-tu des fils oublieux ?
– Demandez au vieux calvaire
Ce que le temps fait des dieux.
– Dans ton silence et ton ombre,
Combien d’amours aux minuits ?
– Demandez au ciel le nombre
Des étoiles dans les nuits.
..
– Combien a bu ta poussière
Des sueurs du vieux hameau ?
– Demandez à la rivière
Le nombre des gouttes d’eau.
..
– Et toi, dans l’ombre des hêtres,
Pourquoi fais-tu ce détour ?
– Demandez aux cœur des êtres
Qui me creusent tour à tour.
– Et pourquoi si peu d’espace,
Entre tes grands talus verts ?
– Demandez au gars qui passe
Ce qu’il sait de l’univers …
– Seras-tu longtemps encore,
Le vieux chemin des saisons ?
– Tant que le soir et l’aurore
Feront frémir les moissons.
Francis Yard
Source : Francis Yard « Choix de poèmes », EUGÈNE FIGUIÈRE, Éditeur, 166 Boulevard du Montparnasse, Paris (XIV), 1932
Poème intégral :
– Vieux chemin, quel est ton âge ?
T’ont creusé combien de pas ?
– Demandez au vieux village
Dont les toits fument là-bas.
– Sur ton squelette de pierre
Combien d’hommes ont marché ?
– Demandez au cimetière
Qui dort au pied du clocher.
– Mais, depuis ta prime aurore,
Combien de soirs assoupis ?
– Aux moissons qui vont éclore
Demandez combien d’épis.
– Es-tu né, parmi la lande,
Au pas d’un serf féodal ?
– Demandez à la légende
Le secret de l’idéal.
– Patriarche de la terre,
As-tu des fils oublieux ?
– Demandez au vieux calvaire
Ce que le temps fait des dieux.
– Dans ton silence et ton ombre,
Combien d’amours aux minuits ?
– Demandez au ciel le nombre
Des étoiles dans les nuits.
– As-tu fait la vie heureuse
A tous les faucheurs d’épis ?
– Demandez à la glaneuse
Si je suis le paradis.
– Le lieur des gerbes drues
Marche libre en ta beauté !
– Demandez à mes charrues
Si je suis la liberté.
– Quand le sillon s’ouvre et fume,
Le sol est doux au champ vert …
– Demandez pourquoi l’enclume
A ceux qui forgent le fer.
– Mais pour nourrir les royaumes,
Combien de gerbes encore ?
– Demandez aux toits des chaumes
Le nombre des pailles d’or.
– Combien a bu ta poussière
Des sueurs du vieux hameau ?
– Demandez à la rivière
Le nombre des gouttes d’eau.
– Mais ont-ils donc tant de peine
Ceux qui charment tes grillons ?
– Ah ! demandez à la plaine
Ce qu’ils creusent de sillons.
– Mais ont-ils des âmes pures,
Sont-ils doux, sont-ils méchants ?
– Demandez aux bornes dures
Qui sont au coin de mes champs.
– Et toi, dans l’ombre des hêtres,
Pourquoi fais-tu ce détour ?
– Demandez aux cœur des êtres
Qui me creusent tour à tour.
– Et pourquoi si peu d’espace,
Entre tes grands talus verts ?
– Demandez au gars qui passe
Ce qu’il sait de l’univers …
– Seras-tu longtemps encore,
Le vieux chemin des saisons ?
– Tant que le soir et l’aurore
Feront frémir les moissons.
…
Trop aveugles humains, quelle erreur vous enivre !
Vous n’avez qu’un instant pour penser et pour vivre,
Et cet instant qui fuit est pour vous un fardeau !
Avare de ses biens, prodigue de son être,
Dès qu’il peut se connaître,
L’homme appelle la mort et creuse son tombeau.
…
Abjurez, ô mortels, cette erreur insensée !
L’homme vit par son âme, et l’âme est la pensée.
C’est elle qui pour vous doit mesurer le Temps !
Cultivez la sagesse ; apprenez l’art suprême
De vivre avec soi-même ;
Vous pourrez sans effroi compter tous vos instants.
…
Ô Temps, suspends ton vol, respecte ma jeunesse ;
Que ma mère, longtemps témoin de ma tendresse,
Reçoive les tributs de respect et d’amour ;
Et vous, Gloire, Vertu, déesses immortelles,
Que vos brillantes ailes
Sur mes cheveux blanchis se reposent un jour.
Antoine Léonard Thomas
Source : Suzanne Julliard « Anthologie de la poésie française », Éditions de Fallois, 2002
Barbara Botton